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19-12-2023

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Design d'un monde meilleur

Par Sandrine Warsztacki.  

 

Le design est la source de superbes objets qui participent à rendre nos quotidiens bien plus agréables. Quand il rime avec humanitaire, écologie, politique, cet art peut aussi contribuer à la construction d'une société plus juste et plus durable.

 

Revenant de la rivière, des Africains font rouler devant eux des tonneaux en plastique dont la forme évoque étrangement des tondeuses à gazon. Visiblement, ces villageois semblent ravis de ces barriques bleues leur permettant de transporter cinq fois plus d'eau que les moyens traditionnels. Quand des designers comme Emily Pilloton se mêlent d'humanitaire, il en faut peu pour faire la différence. Il y a un an, cette Californienne a fondé Project H, pour améliorer les conditions de vie des moins nantis grâce à la diffusion d'outils adaptés. En mars, elle accomplit sa première mission en finançant l'envoi de septante-cinq Hippo Roller en Afrique du Sud. En facilitant la collecte de l'eau, ce système simple, mais astucieux, dégage un temps précieux pour travailler dans les champs ou envoyer les enfants à l'école.

 

Project H est né d'une frustration. À l'époque, je dessinais des meubles. Durant mes études, j'avais appris que le but du design est de trouver des solutions. Or, à ce moment de ma carrière, je me suis rendu compte que la seule utilité de mon travail était de permettre à un petit nombre de riches d'être mieux assis. Alors, j'ai cherché comment utiliser le design pour résoudre de vrais problèmes, comme la crise de l'eau, raconte-t-elle avec un enthousiasme communicatif.

 

C'est la même quête de sens qui a poussé Mathieu Acquart, ses études terminées, à faire le tour de la planète à la rencontre de designers qui ont mis leur talent au service du développement durable. Diplôme en poche, sac sur le dos, le jeune Français a sillonné les routes durant huit mois, traversé quinze pays et rencontré plus de soixante personnalités impliquées dans l'ecodesign. Revenu de ce périple avec la conviction que l'éducation est la clé du changement, aujourd'hui, il est retourné dans son école pour y enseigner. Certains de mes élèves sont déconnectés de la réalité environnementale. Pour la plupart, ils ne s'intéressent qu'aux produits high-tech. Je veux leur expliquer que le contexte actuel ne permet pas une croissance infinie dans un monde fini et que le designer a un rôle à jouer car ce qu'il crée a un impact sur cette planète, explique-t-il sur un ton posé.

 

En tout cas, les inventions de ce designer à la main verte se rangeraient harmonieusement parmi celles qu'Emily Pilloton veut envoyer aux quatre coins du globe. Épinglons, par exemple, le Rizom. Encore au stade de projet, ce filtre en forme de racine doit permettre d'extraire les éléments nutritifs du sol tout en éliminant les particules polluantes.

 

Un monde plus beau

Dans les années 70 déjà, Victor Papanek déclarait que si chaque designer pouvait consacrer 10 % de son temps à des questions délaissées, comme la pauvreté ou le handicap, alors beaucoup de problématiques oubliées trouveraient une issue plus favorable, rappelle Mathieu Acquart. Cette vision rompt en partie avec l'esthétique raffinée à laquelle l'univers du design nous a habitués. Mais, cette approche humaniste démontre que la beauté de cette discipline réside aussi dans son pouvoir à rendre notre société meilleure, comme l'explique si bien Emily Pilloton. Chez nous, le design est intimement lié à la notion d'esthétique. En Afrique, si vous demandez à quelqu'un si un objet est bien dessiné, il se demandera comment celui-ci peut rendre ses tâches quotidiennes plus faciles. Si la beauté peut être comprise au sens traditionnel de l'apparence, elle peut aussi résider dans le lien entre l'utilisateur et l'objet.

 

Pascal Koch, pour sa part, place l'élégance des formes au cœur de son travail. La démarche de cet architecte et designer liégeois rejoint pourtant celle d'Emily Pilloton et de Mathieu Acquart dans sa remise en cause de nos modèles. Ses créations sont à la frontière de l'art, du design, voire de la politique. S'il crée de beaux objets, c'est pour mieux nous faire réfléchir. Jonglant avec les mots et les idées, comme avec les matières et les couleurs, il a créé une bonbonnière en forme de mine antipersonnel. À chaque fois qu'un de ces petits bocaux à friandises est vendu, une partie du bénéfice est versée à des associations de déminage et d'aide aux victimes. Le contraste entre ces jolies boîtes rondes aux tons acidulés et les armes terribles qu'elles représentent provoque un certain malaise. Quelques personnes m'ont reproché d'associer l'idée de guerre et un objet lié à l'enfance, alors que chez n'importe quel marchand de jouets on vend des mitraillettes en plastique ! Mais je ne veux pas choquer. Je veux juste remettre en question notre système de fabrication et de commerce. Je veux montrer qu'il existe des mondes parallèles et faire prendre conscience de l'ignominie de nos productions parallèles. D'un côté, on fait nos courses au supermarché et on remplit nos caddies sans se poser trop de questions. D'un autre, on fabrique ce genre de choses et on en vit, dénonce-t-il avec véhémence.

Préoccupé par la notion de conflit, ce designer engagé a aussi imaginé différents cale-portes pour nous rappeler de toujours garder le dialogue ouvert. Rebondissant sur l'actualité belge, une première série limitée devrait voir le jour sous la forme d'un lion flamand et d'un coq wallon.

 

Un monde différent

Depuis quelque temps déjà, les étals des boutiques de décoration se remplissent d'objets estampillés écologiquement ou socialement responsables. Cette tendance réjouissante ne suffit toutefois pas à étancher la soif de changement de nos trois designers. On produit pour produire, trop, et pas assez de qualité. Il faudrait arrêter de fabriquer autant, commence Pascal Koch. C'est vrai pour mes objets aussi. C'est peut-être paradoxal mais, à part interpeller l'opinion, ce que je fais ne sert à rien. Quand je traîne dans les brocantes, je me dis parfois que mes objets pourraient terminer là, poursuit-t-il avec sincérité. Faire de l'ecodesign n'a pas de sens à partir du moment où ça s'inscrit dans la surconsommation actuelle, résume quant à lui Mathieu Acquart.

 

De l'autre côté de l'Atlantique, Emily Pilloton part du même constat. C'est trop facile d'admirer une table en bambou et de parler d'ecodesign. C'est une bonne chose que les gens aient la possibilité d'acheter ces meubles, mais cela reste du luxe destiné à une minorité. La jeune femme voit les choses en plus grand. Le vrai défi c'est de changer la nature du marché, de faire du design pour de nouveaux clients qui n'ont pas forcément l'argent pour l'acheter. Il faut inventer un modèle économique différent avec d'autres acteurs, des ONG, des communautés locales, des gouvernements. Ce challenge, elle entend bien le relever avec les principaux concernés. Pour son nouveau projet, un jouet éducatif destiné aux petits pensionnaires séropositifs d'un orphelinat en Ouganda, elle a imaginé un mode de financement original. L'objet sera produit sur place avec des matériaux locaux que les enfants connaissent bien, quelques pierres, des brindilles ou des capsules de bouteilles. Dans le même temps, une version manufacturée sera fabriquée et vendue aux États-Unis. La vente du second subventionnera la diffusion du premier.

 

Décidément, nos designers au grand cœur n'utilisent pas leur imagination débordante que pour concevoir des objets ingénieux, c'est notre système tout entier qu'ils réinventent avec talent.

 

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