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Colloque: Et si nous habitions autrement - 2000

 

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Introduction

Questions anciennes, questions nouvelles

 

Il est humain de croire que les questions que nous nous posons comme les réponses que nous tentons de leur donner ont la fraîcheur et la virginité de tous les matins du monde. Nous nous doutons pourtant que ce qu’il peut y avoir de neuf dans nos questions ou nos réponses ne peut être que nuances ou  petites avancées par rapport à ce qui a été réfléchi avant nous. Qu’il peut même leur arriver d’être en retrait par rapport au passé.

                Ainsi du concept d’habitat groupé.

Les objectifs que poursuivent les projets actuels d’habitat groupé n’étaient-ils pas réalisés par le village d’antan, comme par le village d’aujourd’hui dans bien des régions du monde encore? Le rapprochement pourrait paraître crédible en ce qui concerne un certain nombre d’objectifs recherchés par ce type d’habitat : convivialité, économie d’échelle, partage des tâches, sécurité...  A y réfléchir de plus près, il s’avère cependant moins adéquat. C’est que ces objectifs, pour être proches quant au fond, sont connotés par le contexte dans lequel ils sont poursuivis, au point d’en être parfois méconnaissables. La population agricole d’une région du Sud Sahel n’y répondra pas de la même manière que les citoyens des grandes conurbations occidentales, et ce qui ira de soi ici se révélera un rêve difficilement accessible là-bas.

                Mais il ne faut pas retourner aux tribus primitives ni aux régions les moins développées de la planète pour qu’apparaissent les différences. Ainsi, dans la préparation du colloque que le Mouvement Couple et Famille a mis sur pied en octobre 2000 en collaboration avec l’association «City and Shelter» sur le thème «Et si nous habitions autrement?», contact avait été pris avec des personnes considérées comme des experts en la matière. L’un d’eux, sociologue universitaire pourtant, se montra fort étonnée de la démarche. «Mais enfin, réagit-il, l’habitat groupé est un thème passé de mode. Ce fut en effet un engouement dans la foulée de mai 68, avec ses idéologies communautaires. On n’en est plus là aujourd’hui».

                Tout le monde n’avait pas cette perception des choses. Notre préoccupation n’était pas aussi obsolète qu’il le pensait. C’est ainsi que la Fondation Roi Baudouin, qui avait retenu notre projet dans son champ d’action, avait déjà publié en novembre 98 un ouvrage collectif important intitulé : «Où vivre vieux? Quel éventail de cadres de vie pour quelles personnes vieillissantes?». Dans la préface de cet ouvrage, la Fondation affirme :  «L’habitat des personnes vieillissantes interpelle la société entière, qui est à l’image de la place qu’elle réserve à celles et ceux qui ont contribué à son développement. Les politiques sociales, attentives aux récentes évolutions en matière d’habitat, ont sûrement tout à gagner en encourageant la responsabilité et l’innovation des personnes vieillissantes qui sont le mieux à même de mettre en place les réponses qui leur conviennent». Par ailleurs, dans ses conclusions, le même ouvrage appelait à  «créer ou laisser se créer des cadres de vie qui à la fois respectent l’intimité du territoire personnel et préviennent, par l’existence d’une communauté de vie, l’isolement et le sentiment de solitude». C’était, on ne peut plus clairement, un appel direct à des types d’habitats communautaires d’un caractère radicalement différent des classiques homes pour personnes âgées.

                On l’aura remarqué, entre les démarches d’habitat groupé nées de la mouvance de mai 68, qui avaient voulu répondre à la question ancienne du refus de l’isolement et du repli sur soi, et les demandes actuelles qui surgissent entre autres des interrogations que pose l’extraordinaire accroissement de la longévité, il y a plus que des nuances.

                Il ne faudrait toutefois pas se tromper : il n’y a pas pour autant rupture entre les deux demandes. Nombre de personnes qui atteignent aujourd’hui le troisième âge sont précisément contemporaines du mouvement de dynamisme et de mise en cause de la société de mai 68. Pas étonnant dès lors que l’idée d’une vie plus communautaire leur soit venue en réponse à leurs nouvelles préoccupations liées à l’âge qui avance et qui s’annonce beaucoup plus long que pour les générations précédentes. On verra d’ailleurs que ces velléités de type plus communautaire plaident en faveur d’initiatives nouvelles d’habitat groupé, de conception bien plus large que la conglomération de personnes âgées. C’est, nous semble-t-il, une préoccupation récente de société intergénérationnelle plus solidaire qui tente ainsi de s’exprimer et de se matérialiser. Nous verrons en quoi certaines initiatives concrétisent cette intuition nouvelle.

  
D’une demande individuelle à une réponse collective

                De tous temps, le vieillissement et la dépendance ont posé des questions aux collectivités humaines. Dans les sociétés traditionnelles, la situation des personnes âgées -- qu’elles soient considérées comme «sages» ou comme «charges» par les plus jeunes -- a posé des questions qui exigeaient des réponses collectives, entre autres au niveau de l’habitat.

                L’évolution des modes de vie et l’accroissement de la longévité ont peu à peu transformé les relations entre les générations. Dans les populations occidentales, les cellules familiales se sont généralement rétrécies aux parents et aux enfants et l’habitat a évolué en conséquence.

                Par ailleurs, la préoccupation accrue d’autonomie des personnes a entraîné un besoin plus explicite de distance entre parents et enfants devenus adultes. Hier, ce besoin bien naturel -- même s’il est devenu plus conscient depuis Freud -- trouvait le plus souvent solution par le décès des parents, à un âge relativement jeune à nos yeux. Aujourd’hui, c’est l’existence simultanée de trois, voire de quatre générations qui devient chose courante. Il n’y a pas si longtemps, la presse locale annonçait dans ses pages l’avènement d’un centenaire ou de quatre générations en ligne directe. S’il fallait encore les célébrer de la sorte en ce début de siècle, il y a fort à parier que les journaux y consacreraient toutes leurs pages.

                Cellules familiales réduites et logements correspondant à leur mode de vie, volonté d’autonomie et accroissement de la longévité, autant d’éléments générateurs de questions, parfois lancinantes, pour des femmes et des hommes de 50 à 60 ans, à la recherche d’alternatives à ce qui est aujourd’hui proposé à leurs aînés : homes et résidences. Ces habitats, parfois attractifs et bien gérés, leur paraissent trop souvent comme des ghettos qui les enferment dans l’exiguïté ou la promiscuité. Le mercantilisme ambiant a même amené certains de ces lieux à n’être plus que des «couloirs de la mort»?

                L’intention de ces pages n’est pas de faire peser une suspicion généralisée sur les homes et les résidences : de nombreuses personnes âgées y trouvent la sécurité et une liberté de mouvement et de pensée débarrassée de préoccupations qui leur étaient devenues pesantes voire angoissantes.

                Si les questions relatives à une vie de qualité pour les plus âgés ont pris de devant de la scène en matière d’habitat groupé, d’autres préoccupations et d’autres aspirations conduisent une population plus jeune à y porter également intérêt. Le désir d’une habitation confortable dans un environnement agréable lié au coût de plus en plus lourd que cela suppose, conduit certains à chercher alliance afin de rendre la réalisation de ce désir plus abordable.

                Par ailleurs, si les aspirations communautaires nées de mai 68 ont fait leur mutation, elles n’en sont pas pour autant totalement effacées des aspirations des couches plus jeunes de la population.

                Enfin, par-delà l’individualisme ambiant, des projets de solidarité apparaissent qui, tout en restant sensibles aux valeurs d’autonomie des personnes, cherchent à imaginer et à risquer des formes nouvelles de démarches solidaires.


Des expériences multiples

                De nombreuses pistes ont été empruntées pour tenter d’apporter réponse aux demandes et aux aspirations nouvelles. Certaines ont pour objectif exclusif de trouver des solutions aux problèmes de déperdition progressive d’autonomie qu’entraîne la vieillesse. Elles consistent par exemple en l’aménagement de l’habitat de personnes âgées en deux ou plusieurs modules. Pratiquement, les pièces libérées par les enfants ou les occupations professionnelles sont réaménagées en habitations autonomes louées à des cellules familiales, qu’elles soient de la parenté ou étrangères, avec des accords de convivialité et d’entraide dont les modalités peuvent varier à l’infini.
                A l’autre extrême, on trouve des systèmes d’accueil de personnes âgées dans des familles, de leur parenté ou non. La France, par exemple, organise et subsidie de tels accueils. Que cet accueil soit partiel ou constant, on se doute que la formule pose de nombreux problèmes liés aux relations financières, à la  qualité des services et des soins, à la durée du contrat ou à la disponibilité des familles d’accueil... La France a donc légiféré en la matière en vue de protéger les uns et les autres des dérives possibles du système, mais de solides réserves ont été émises et les expériences concrètes sont fort diverses. S’agit-il en fait d’autre chose que d’une transposition en termes de services rémunérés de la situation antérieure dans laquelle les personnes âgées trouvaient refuge chez un de leurs enfants (le plus souvent une fille d’ailleurs) lorsqu’elles perdaient leur autonomie?

                D’autres formules plus ou moins originales ont vu le jour --  dont certaines développées au cours du colloque et que nous reprendrons plus avant -- et semblent témoigner de l’émergence d’une mentalité différente.

Savoir être nomade

                C’est que les mutations de nos sociétés sont multiples et s’effectuent à une vitesse dont nous n’avons parfois même plus conscience. Remous de surface ou lames de fond : il est bien souvent difficile de distinguer.

                Une de mes grands-mères avait vécu, enfant, dans une petite ferme au sol de terre battue et vaguement éclairée, le soir venu, de lampes à pétrole. Il y eut vraisemblablement moins de différence entre le mode de vie de son enfance et celui des paysans qui avaient travaillé la même terre mille ans plus tôt, qu’entre ce que découvrirent ses yeux d’enfant et ce sur quoi ils se fermèrent quelque 80 années plus tard. Elle avait roulé en voiture, regardé la télévision et pris l’avion et n’avait pourtant pas l’impression d’avoir changé de monde. L’accélération de l’histoire, de notre contexte de vie, ne nous place-t-elle pas toutes et tous dans une expérience de transplantation radicale, sans que nous en saisissions vraiment la portée?

                Nous sommes devenus en quelque sorte des nomades de l’histoire, des nomades du temps et les questions nouvelles ou renouvelées que chaque mutation entraîne appelle des réponses renouvelées elles aussi.

                Dans le domaine du logement, jusqu’il n’y a pas si longtemps, nous réfléchissions en sédentaires. Ce que nous recherchions, c’était une «demeure», l’endroit où l’on plante sa tente dans l’espace et dans le temps. Il arrivait même souvent que la maison familiale se transmette comme les châteaux et les maisons patriciennes. C’était l’aîné, ou encore la fille restée par piété filiale ou par contrainte psychologique comme bâton de vieillesse des parents, qui reprenait le bien, son mobilier et les vieux parents inclus, sédentaires dans l’espace et le temps.

                Et la demeure avait une âme, disait-on. Elle amassait en elle il est vrai, des souvenirs qui se transmettaient d’âge en âge et semblaient la rendre immuable et sacrée, même s’ils se déformaient au fil du temps.

                La demeure en elle-même y était-elle pour quelque chose? Non et pourtant oui à la fois. Non, parce que l’attachement et la relation à un lieu est une histoire toute personnelle. Chaque maison est unique pour ceux qui l’ont fréquentée. Oui, parce que l’architecture comme l’insertion d’une demeure dans son environnement crée une atmosphère de luminosité ou de mystère, d’espace ou de cocon, de majesté ou de recueillement.
                La conformation d’un habitat va dès lors se mêler à l’histoire qui y a été vécue et tel se souviendra avec délectation d’une cave à voussettes de la maison de ses grands-parents, alors que tel autre frissonnera à son évocation, pour y avoir été puni et y avoir connu une de ses frousses d’enfant. Les deux vont se tisser, étroitement parfois, au point de créer une dépendance, une difficulté sinon une impossibilité de prendre distance, de quitter.

                Peut-être est-il important de garder en soi une capacité suffisante de nomadisme pour ne s’accrocher ni aux lieux ni aux habitudes. Peut-être est-ce ce même nomadisme intérieur qu’il faudrait cultiver afin de pouvoir «habiter autrement».

Attentes d’aujourd’hui

                En ce tournant de millénaire, l’intérêt porté à un habitat plus convivial se colore d’aspirations diverses. Une réponse collective qui ne tiendrait pas compte de ces souhaits individuels ne pourrait dès lors conduire qu’à des approximations insatisfaisantes. Mais quelles sont ces préoccupations ou ces désirs qui amènent certains à rêver d’un type d’habitat nouveau?

                Les préoccupations essentielles, dans nos pays riches, se rapportent à l’allongement de l’espérance de vie. Elles ne sont pas le seul fait des personnes vieillissantes, mais aussi de leurs proches, enfants et petits-enfants, inquiets de ce qu’il adviendra de leurs aînés comme des charges et soucis que cela risque de leur causer. Ils se sentent même culpabilisés de considérer leurs parents comme des empêcheurs potentiels de vivre pleinement leurs engagements et leurs aspirations.

                Ces préoccupations sont également le fait de  ceux qui assument des responsabilités publiques. La pyramide des âges s’inverse progressivement. Cela entraîne des problèmes de ressources, par la fragilisation des systèmes collectifs de pensions, mais cela pose aussi des problèmes importants en matière d’habitat convenant aux personnes vieillissantes qui ont perdu leur autonomie et qui nécessitent accompagnement et soins constants.

                En second lieu, une aspiration à des relations intergénérationnelles se développe, tant du côté des personnes âgées que des plus jeunes.

                Le père d’une amie, une fois pensionné, avait convaincu son épouse de se rendre sur la Côte d’Azur en moyenne saison. Il y ferait moins chaud, les prix seraient plus abordables et ce ne serait pas la foule des mois d’été. Il en revint passablement déçu. C’est que, disait-il : «Il n’y a que des vieux».

                De la même manière, une tante qui avait trouvé refuge en fin de vie dans une maison de repos particulièrement bien conçue et aux services soignés, se réjouissait plus encore de ce qu’elle soit insérée dans un parc au milieu d’un centre urbain. Sa plus grande joie était que des amoureux venaient se bécoter sur le banc face à se fenêtre et que s’y arrêtaient également parfois des jeunes parents avec une voiture d’enfant.

                Mais l’inverse est tout aussi vrai. Si la présence de la jeunesse -- lorsqu’elle n’est ni trop bruyante ni trop envahissante -- est stimulante pour les personnes âgées, les personnes âgées -- lorsqu’elles ne sont ni sentencieuses ni acariâtres -- peuvent être une réelle source de pacification intérieure et d’enracinement pour les générations les plus jeunes.

                On remarque que les jeunes enfants sont souvent attirés par les personnes âgées et des expériences de présence régulière de grands-parents dans des classes maternelles se sont avérées fort positives, tant pour l’équilibre des enfants que des grands-parents.

                Il semble donc bien qu’un milieu intergénérationnel peut être bénéfique pour chacun et des personnes de plus en plus nombreuses espèrent y vivre.

                Autre aspiration des personnes âgées : rester en prise sur la vie sociale. Quitter la vie professionnelle n’équivaut pas à se retrancher de toute activité sociale. La soif de pouvoir faire autre chose, autrement, habite plus d’un. Dans les milieux associatifs, leur expérience et leur entregent sont souvent recherchés et appréciés. Lorsque l’âge n’équivaut pas à un besoin de présence constante ou à un complexe de supériorité, mais à une disponibilité active et bienveillante, les collaborations intergénérationnelles peuvent s’avérer bénéfiques pour tous.

                On voit aussi émerger peu à peu une aspiration à plus de convivialité et de solidarité, surtout au sein des familles. Quand l’argent n’est pas la préoccupation essentielle des plus jeunes, les possibilités financières des aînés, si elles existent effectivement, permettent des coups de pouce inattendus. Cela resserre les liens et peut induire des attentions mutuelles qui dépassent largement le simple intérêt matériel.

                Mais la détention des avoirs, immobiliers et mobiliers, de l’épargne accumulée par les générations plus âgées ne pourrait-elle conduire de même à des initiatives moins traditionnelles de partage des ressources?

                Ne se pourrait-il aussi par exemple que les loyers des appartements et des maisons qui constituent pour leurs propriétaires une accumulation de revenus plus qu’une source normale de bien-être, soient abaissés au niveau de loyers sociaux, par l’entremise d’associations qui géreraient ces biens? Des syndicats de propriétaires qui mettraient leur bien en location de façon solidaire, en faveur de jeunes à la recherche d’un habitat décent à hauteur de leurs possibilités financières, seraient-ils des initiatives inimaginables? Il s’agirait en quelque sorte de logements sociaux d’initiative privée parce que constitués de mise en commun de biens privés. Seraient-ils moins sociaux et moins solidaires parce que moins collectifs et moins publics?

 

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